«
- Et la vitrine…
- Tu te souviens de la vitrine ?
- On était petit ….
- Et la cuisine ? ah l’évier ?
- Il était jaune non ?
»
« C’était une maison magique, avec des très beaux meubles en damasquin, une sorte de caverne d’Ali Baba ou de labyrinthe de tapis » se rappelle Ghosn qui venait voir son oncle, Najib Tannous Chemali, dentiste et habitant au 1ère étage de la maison.
Son architecture innovante
« C’est un génie d’avoir ouvert la façade sur les trois côtés » d’après Jad Nasrallah, journaliste ayant suivi l’histoire de la maison. Aftimos fut l’un des premiers à mettre en avant les terrasses, avec notamment une vue à 180 degré, soit dit en passant quasiment « impossible à réaliser ». Il a réussi également à créer « la perfection au niveau de l’orientation » des chambres, permettant à celles-ci d’être illuminées tout au long de la journée. Puis il a créé un escalier secondaire pour les « bonnes », sans qu’elles aient à passer par la zone d’habitation familiale. Ce qui « reflétait la vie bourgeoise des Libanais ».
La maison s’est bâtie en deux temps. Aftimos a commencé les travaux pour le rez-de-chaussée qui comportait 8 magasins (coiffeur, épicier, vendeur de tapis, cordonnier, mécanicien, ……) et le 1er étage. Puis un de ses élèves a pris la relève, Fouad Kouzah, s’ inspirant des 1ers croquis de son maître.
Sa position symbolique
La guerre civile libanaise a débuté au Liban en 1975 pour durer une quinzaine d’années, laissant les libanais se combattre les uns contre les autres. Il existait deux zones à Beyrouth : l’Est et l’Ouest séparés par une ligne de démarcation, la ligne verte, nommé ainsi par l’affluence de verdure là où plus personne n’osait s’aventurer.
La maison jaune était sur cette ligne de démarcation et a servi de zone stratégique pour les milices, notamment le tireur du Barakat qui y a vécu, l’immeuble ayant été intégralement abandonné par ses habitants. Ceux-là sont partis sans laisser aucun contact.
Jad Ghostine, ancien major de l'ALBA, nous relate la vie de ce franc-tireur pendant la guerre civile:
Pour la petite histoire, Amo Najib Tannous Chemali, un des membres fondateurs des Kataëb avait pour voisin Khalil Fallahah, d’origine palestinienne (ennemis direct durant la guerre civile). C’est ce qui en fait un symbole également de la pluralité libanaise à trait laïc. Ses habitants étaient indifféremment chrétiens, musulmans, palestiniens ou arméniens.
La bataille pour sauver la maison jaune
C’est l’artiste Rita Aoun qui s’intéresse la première à cette maison délaissée en 1994. Elle pense déjà y faire un lieu de mémoire.
« J’ai passé des heures là bas à imaginer une journée banale de la guerre, de ces combattants, comment ils se parlaient, ils faisaient le café,… »
Son combat pour sauvegarder la maison est repris par Mona Hallak, architecte, qui va mener la lutte jusqu’à obtenir en 1998, l’annulation de la démolition de l’immeuble Barakat.
La maison jaune est désormais propriété de la municipalité de Beyrouth qui, en partenariat avec la mairie de Paris, va rénover le bâtiment en Musée de la Ville de Beyrouth.
La mémoire des libanais amnésique ?
« Un lieu de mémoire mais de quelle mémoire ? de la guerre civile, je ne vois pas de quelle autre mémoire. Je ne pense pas qu’il y ait une autre mémoire qui soit aussi intéressante et aussi évidente que celle-ci » s’exclame Rita Aoun.
Pour Ralph Eid, responsable du projet au niveau de la municipalité, les traces de la guerre civile seront toujours présentes. Il préfère ne pas s’exprimer tant que le projet n’est pas définitif. Des experts parisiens doivent effectuer leur 5ème mission à Beyrouth au courant du mois de février; s’en suivra le grand lancement du projet en public au mois d’avril.
Jad Ghostine nous explique les grands traits de son projet d’étude « Red Line » réalisé en 2005, imaginant un mémorial de la guerre civile à l’emplacement de la maison jaune :
Photo d'ouverture: Municipalité de Beyrouth/Droits réservés
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