par Zahraa Mortada
Destination : Roumieh. Objectif : suivre une session de Drama thérapie animée par Zeina Daccache avec 40 prisonniers. Le sujet : projection de deux documentaires de Zeina Sfeir sur la guerre.
Déjà vu une prison ? Dans les films peut être… mais l’imagination n’est pas aussi frappante que la réalité.
Une longue distance sépare l’entrée initiale de la prison des bâtiments qui « hébergent » les prisonniers. Bloc D. des cris partent, ici et là. Dans la cour, des visages se dirigent vers les fenêtres, des conversations se nouent. Une mère discute avec son fils. Une femme fait au revoir de la main à un mari ou un père, qui 3 étages plus haut, la regarde à travers les barreaux. Ces barreaux ont été transformés sous les mains des prisonniers en des supports à linge, muant ainsi les façades du bâtiment en une toile de toutes les couleurs. Un tableau impressionnant pour les yeux de celui qui ignore tout de l’endroit, mais aussi choquant, accompagné de l’odeur de pourriture qui prend à la gorge.
Se mettre à la place de ceux qui habitent ce lieu, c’est se mettre à la place d’un criminel, d’un violeur, d’un psychopathe, ou au moindre des cas, d’un trafiquant de drogue. Essayer de s’identifier à eux, de se mettre dans leur peau, est un travail difficile, voir aux yeux de tous inhumain.
Invités et prisonniers se serrent pourtant les mains, s’échange les noms, ce qu’ils ont faits dans la vie, ce qu’ils fassent ici. Zeina Daccache, la star de la sitcom « Basmet Al Watan » joue le rôle d’animateur. Tous le monde sourit, ironie et sarcasme sont au rendez vous quelque fois. Dans une salle en longueur, se tiennent assis de part et d’autre des accusés et des curieux, cherchant à comprendre un peu. Jamal, perpétuité pour meurtre, hassan, 5 ans de prison pour drogue, Atef , Eddy, Yehya…
Ils ont commis des crimes. Ils le payent très cher. Jamal était condamné à mort, aujourd’hui il est à perpétuité. « Pour combien d’années la perpétuité ? » Une question qu’il demande à tous le monde. Il ne le sait pas. Pas d’avocat pour s’occuper de son dossier. Il est là, ne voit pas de famille, attend, toujours dans un coin, les pieds en x et les mains croisés, tel un enfant à qui on a interdit de marcher. Ils le répètent tous « dans la prison, celui qui a de l’argent survit, celui qui ne l’a pas va au diable ! ». Hussein a 61 ans, il souffre d’hypertension, la prison ne fournit que les médicaments de base « le Panadol est leur seul remède à tout ». Entassés dans de petites chambres, 5 à 6 pour une chambre comprenant un seul lit, ils ripostent pour un besoin de base «celui d’être des humains ».
C’est ce que tente de faire l’actrice Zeina Daccache. Depuis 2 ans, elle anime un atelier de dramathérapie au sein de la prison. Une cinquantaine de prisonniers participent plusieurs fois par semaine à des activités artistiques, visant à les aider à mieux supporter leur quotidien, et préparer leur réinsertion. Cette fois, elle a invité la réalisatrice Zeina Sfeir à présenter deux de ses documentaires.
La guerre, les larmes, l’humanité, l’injustice que reflète Zeina Sfeir dans ses films font vibrer tous ceux qui se trouvent dans la salle, au même rythme. Une fois la lumière rallumée, les prisonniers et leurs invités, des étudiants en journalisme, se mettent à débattre. Ils regardaient dans la même direction, et maintenant ils se regardent, autour d’une table ronde qui a pour but de partager. Qu’ont-ils à partager? La question se pose. Implicitement bien sur. Et la réponse vient, évidente, dans les paroles des prisonniers.
Les détenus critiquent. Ils parlent d’un monde meilleur. Ils donnent leur avis sur le confessionnalisme libanais. Ils rejettent la guerre, la violence. Ils dénoncent le régime. Lancent des discours intimidant : « On parle des droits de l’homme ? Ou sont les droits de l’homme ?! ». Ils s’indignent, confessent aussi « la présence de Zeina, votre venue ici pour nous voir, nous rappelle que nous sommes encore des êtres humains ». Parmi eux, deux personnes ont un petit cahier dans la main, ils prennent des notes, prennent la discussion au sérieux. Suivent Zeina avec attention.
"ils ripostent pour un besoin de base, celui d’être des humains"
A première vue, son projet de réhabilitation laisse un grand impact sur eux. Par le théâtre, elle a su les faire parler, les faire revivre. Assis là a compté les heures de leur libération, et a manigancer des projets de vengeance, ils ont trouvé une autre voie, un peu plus différente. Une bande de musicien s’est créée par exemple. Ils font des cours de musique, ont sorti une pièce de théâtre et un album. Une de leur chanson dit « la tolérance a plus de grandeur que la justice ».
N’ont-ils pas raison ? Rien n’élimine leur criminalité. Aujourd’hui, ils le sont toujours, et doivent payer le prix. Mais comment ? Être privés de liberté – comme le dicte leur sentence- ou être privé d’humanité ? Être poussé à regretter leurs crimes, ou être induits à plus de criminalité ? Sur le mur de la chambre où ils prennent leurs cours de Drama thérapie, un prisonnier a écris une phrase d’Abraham Lincoln qui dit « j’ai toujours trouvé que la clémence donnait plus de fruit que la stricte justice».
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© Daliah Khamissi